L’appropriation culturelle, en veux-tu en voilà.

pulandevii, Novembre 2021

En me baladant sur Internet, j’ai trouvé plusieurs pépites qui défendent l’appropriation culturelle et qu’elle ne devrait pas être une source de discorde ou un sujet problématique. J’ai décidé de vous en partager une, à mon grand désespoir car ça lui fait de la publicité,c’est un article qui a le don de me mettre en rogne.

Un article qui plaira à d’autres.

Cet article me permet de revenir sur comment l’appropriation culturelle est instrumentalisée et quelles valeurs lui sont collées. Cet article montre également comment, moi, nous, les personnes qui dénoncent l’appropriation culturelle sont catégorisées, insultées et considérées.

Pour lire l'article, c'est ici.

"Le délire de « l’appropriation culturelle »"

On peut commencer par le titre de l'article. Tout ce que je vous explique depuis deux semaines dans cette NL serait donc un “délire” dans quelque chose d'irréel mais aussi de l'ordre du trouble mental selon l’autrice.

« C’est la dernière folie à la mode chez les afro-communautaristes et autres marchands du temple victimaires. »

« Et le symptôme d’une maladie mentale venue d’Amérique qui guette sérieusement notre rive égarée de l’antiracisme. »

Je relève la psychophobie décomplexée.

Je note également l’argument préféré de certaines sphères françaises qui affirment que ce qu’il se passe aux États Unis ne peut être appliqué en France car nous ne partageons pas la même histoire.

Un argument qui sert à justifier qu’en France il n’y a pas de racisme ou de violences policières. La France fait tout pour ne pas entamer son travail de mémoire en utilisant de tels arguments futiles.

“La fondatrice des Sciencescurls – un groupe d’étudiants de Sciences-Po si opprimés que leur plus gros souci dans la vie semble être leurs cheveux – nous y explique ce qui l’ « offense » lorsque des Blancs se font des dreadlocks : « C’est offensant parce que ces réalités culturelles sont complètement effacées et deviennent un amusement. C’est-à-dire que ma culture devient un déguisement. Ça veut dire qu’on peut rentrer dedans, en ressortir, c’est extrêmement violent. » Tout est dit. Ce que ne supportent pas les essentialistes, c’est la souplesse identitaire. Le fait de pouvoir « entrer » et « sortir » d’une culture, de jouer avec ses codes, sans y être assigné”

Tout est dit effectivement, le message principal est de tendre vers un universalisme qui ne perçoit/considère pas les différences, les vécus, les réalités du quotidien.

Cette « souplesse identitaire », qui est encouragée, encore une fois s’applique qu’à certains groupes, à des groupes dits dominants, qui peuvent “entrer et sortir d’une identité” et faire comme si de rien n’était le soir venu, durant un entretien d’embauche ou lorsqu’iels croisent des policier.e.s

C’est l’article parfait qui montre que l’effacement des cultures n’est pas un problème à prendre au sérieux, qu’on peut continuer de vous manquer de respect et que vous n’êtes pas censé.es.riposter.

Mais comme c’est curieux, again, de voir le profil des personnes qui prônent ces messages là.

Des personnes qui sont déconnectées des cultures et pratiques culturelles. Observez bien comment la colonisation est absente de l’article, aucun lien historique n’est fait.

Si je comprends bien cet article, je devrais être heureuse de voir les studios de fitness/yoga monochromes émerger et de me faire retoquer parce que je ne réalise pas parfaitement ma salutation du soleil. Ces lieux qui poussent sans cesse à la performance et à la concurrence.

Je devrais être heureuse de pouvoir sélectionner les bons côtés, donc les plus rentables personnellement et économiquement. Je devrais être contente d’aller voler des pratiques ancestrales et de les monétiser mais aussi de les transformer comme bon me semble.

Puis je ouvrir ma crêperie bretonne sans grandes difficultés et devenir meilleure ouvrière de France?.

Ah mais non, ça ne m’est pas accessible, parce que “Tu viens d’où déjà ?”

La croyance du “quand on veut, on peut”, ne s’applique pas à tout le monde et est rapidement limitée.

Jetez un coup d’œil au troisième paragraphe c’est le bal des surnoms qu’elle nous donne.

Si vous ressentez des émotions d’inconfort, de colère et d’injustice. Alors félicitations, vous avez compris l’appropriation culturelle.

Son contenu ne m’étonne pas, je suis habituée à ce type de propos et à cette violence.

D’une part il existe donc ces propos violents frontaux, d’un autre part j’ai découvert un autre type de propos qui utilise la façade de la bienveillance, et ses effets pervers.

Il est important de reconnaître que l’appropriation culturelle s’ancre dans une dimension capitaliste, égoïste car tout ce qui compte c’est le business, se faire de l’argent et continuer à fermer les yeux. Vivre dans le déni.

Je commence à voir la violence ensevelie sous plusieurs couches de :

  • “Bienveillance”

  • “Je transmets votre culture, soyez content.e.s”,

  • “Je rends un hommage à votre culture”

Durant mes échanges avec des personnes exploitant des cultures sud asiatiques, j’ai remarqué que le manque d’argument face à mes questions arrivait vite et laissait place à de la violence verbale ,une manipulation psychologique (le gaslight) et un lynchage en public.

Et c’etait intéressant et difficile à observer comme processus, dans un récent scandale autour de l’appropriation culturelle, dans lequel je n’étais pas impliquée.

j’ai pu suivre la mise en place d’un mécanisme de défense assez robuste par la personne attaquée pour de l’appropriation culturelle. C’est toute une ingénierie qui m’a fait réaliser que la bienveillance a ses limites.

Ce stratagème est tout simple.

S’entourer de personnes qui :

  • ne comprennent rien à l’appropriation culturelle

  • vivent dans le déni ethnique identitaire

  • confondent l’APC et l’appréciation culturelle

  • sont sexistes,misogynes, racistes

  • pensent qu’ aimer une culture suffit pour lui manquer de respect et pour lui ôter son essence, car il faut tout moderniser pour que ça vende

  • Mais surtout de personnes issues de la culture exploitée

J’imagine une pyramide , à la tête il y a donc la personne qui fait de l’APC, un cran au dessous il y’a sa petite armée qui la défend et la soutient dans son business et en dernier il y a les personnes dénonciatrices de l’APC, ( vous et moi peut être ?)

L’engrenage des violences intra communautaires.

Cette ingéniosité là m’a surprise. La vitesse à laquelle cette personne a divulgué tous les échanges privés en story publique m’a inquiétée sur le plan de la santé mentale. Étant passée par là, je sais à quel point ça peut nous atteindre psychologiquement.

A la fin de la journée, je suis toujours la même personne avec mon identité culturelle bafouée, à ressasser tous les dires, les manques de soutien, les aberrations, les attaques, les insultes. Je n’ai pas d’issue, je reste dans mon indianité.

Il est juste de mentionner que ce lynchage public, avec des stories qui se répondent entre elles, se fait dans les deux camps, cependant un des camps ne demandera jamais même subtilement d’aller harceler l’autre.

La violence la plus dure c’est celle qui provient de nos propres «compatriotes », ces brown pas cools.

Ces personnes brown occupent donc le deuxième rang sur ma pyramide et sont prêt.e.s à nous laminer. J’ai l’impression qu’elles réagissent deux fois plus que la principale concernée. J’ai vu ces brown pas cools s’en prendre à d’autres brown qui ne faisaient que dénoncer les injustices.

C’est ça la violence intra communautaire.

Je ne dis pas qu’il ne faut pas se dénoncer « entre nous », moi je suis la première à le faire quand il s’agit d’injustices et d’oppressions liées aux genres, classes,castes et races etc.

Mais je ne comprends pas les arguments utilisés :

« Elle n’est même pas indienne mais elle aime notre culture et la met en valeur »

« Elle est plus indienne qu’une vraie indienne »

« Ça n’est pas de sa faute si elle fait de l’APC c’est de la faute de notre communauté car on ne se positionne pas sur ces activités. »

“Quelle image tu donnes des indien.ne.s ?”

“Il faut différencier l’apc positive et l’apc négative.”

Le creux argumentaire m’a laissée perplexe. « L’APC positive », mais qu’est ce donc ?

Par ailleurs, j’ai pu identifier que les personnes qui font de l’APC soutiennent une image édulcorée du pays dont elles exploitent les cultures.

Le danger est là. Elles oublient ou a vrai dire portent peu de considération pour les discriminations présentes dans le pays, les relations de classes sociales et de castes. Elles se retrouvent à soutenir des régimes fascistes et des narrations nationalistes.

S’attaquer à mon identité et à venir me dire que je ne suis pas une “vraie indienne” car je critique le régime de Modi ou que je critique tout acte misogyne porté par les hommes… je trouve tout cela bien désuet.

Je n’ai jamais eu de conversation sur l’appropriation culturelle sans qu’elle ne tourne au vinaigre.Sauf durant les discussions entre amies où j'ai plutôt envie de pleurer qu’autre chose.

Les rapports de genre et de race au sein de l’appropriation culturelle.

Je déteste le dire mais à chaque fois que j’ai épinglé des histoires d’appropriation culturelle, c’était avec des femmes CIS, blanches mais pas que, en tout cas socialisées comme.

Il arrive que les hommes cis brown très souvent silencieux dans nos communautés, sont les premiers à sortir les crocs pour sauver la femme blanche. La plupart du temps, ils sont là à gérer leur masculinité et à diffuser leur toxicité autour d’eux et puis plouf, quand la femme blanche lance un appel, ils deviennent des sauveurs.

Par contre dénoncer les violences conjugales subies par leurs mères ou l’inceste subi par leurs soeurs n’est pas encore au programme.

Oui je suis énervée.

Alors oui notallmen, pour les personnes qui me méprennent.

En deux trois mouvements de repartage de story, on se retrouve au milieu d’un tumulte qui finira par avoir raison de nous.

Ces tensions s’arrêtent quand nous, personnes dénonciatrices de l’APC sommes obligées de choisir notre santé mentale sur la justice.

L’armée en face est robuste avec une leader hors paire.

La violence réside dans le fait que ces personnes sont infaillibles, le business fleurira que je le veuille ou non. Rare mais rares seront les personnes qui mettront la clé à la porte.

Comme je l’ai dit dans l’édition précédente, certaines personnes sont dans la remise en question et dans l’écoute, heureusement!

Une fois la vague de haine enclenchée, les femmes concernées par l’APC n’ont plus qu’à observer le mécanisme de défense qui se met en place, toute une communauté ethnique ,dont elles exploitent les cultures, se met à obéir aux larmes de crocodiles.

Elles participent activement à la mise en concurrence, elles nous montent les un.e.s contre les autres. Pendant que la bataille de qui aura le dernier mot se joue, du temps, de l’énergie, de la santé mentale sont ruinés, gâchés, perdus.

On en vient à se demander, “Pour quelle raison ai-je décidé de dénoncer ce cas d’appropriation culturelle ?”

Quel message ça me renvoie ?

De me méfier des femmes blanches qui font de l’appropriation culturelle car elles peuvent me jeter dans la gueule de mes propres pairs souvent ,homme cis, bien plus dangereux qu’elles dans les faits.

Pourtant je suis persuadée que nous pouvons trouver des terrains d’entente qui vont dans les deux sens. Je crois en cette possible cohésion.

Les brown, qui s’approprient des cultures, existent aussi.

Des personnes racisées ont la même logique, “d’honorer” telle ou telle pratique, coiffure mais encore une fois j’y vois là une manière de surfer sur une tendance puis de pouvoir changer d’apparence dès qu’elles doivent rentrer dans un ordre.

Aller à un entretien d’embauche, faire une apparition publique dans le cadre du travail, faire quelque chose de sérieux quoi.

Les personnes noires ne peuvent pas changer la texture de leurs cheveux. Comme les personnes asiatiquetées concernées ne peuvent pas enlever leurs plis épicanthiques voir le numéro 10.

Enfin si, il existe des techniques toxiques, douloureuses, chirurgicales pour faire tout ça. Pour quel résultat au final, rentrer dans un moule, où dans tous les cas on ne vous respectera pas plus.

On ne devrait pas avoir à recourir à ces techniques là pour d’autres raisons que sa propre envie…

Comment inverser la tendance ?

On ne peut pas interdire en soi aux gens d’ouvrir leur business de yoga, de les empêcher de monétiser sur des recettes ancestrales de soin de cheveux, du corps etc. Comme je l’ai déjà écrit, les cultures voyagent et cela m’arrange bien. Je peux retrouver des produits alimentaires, des restaurants et magasins sud asiatiques, dans beaucoup d’endroits du monde. Et j’en suis bien heureuse.

Ce que l’on peut faire par contre, c’est de soutenir massivement des marques “black owned” ou “brown owned” ou toute autre initiative qui va dans ce sens.

J’ai décidé de me fournir exclusivement auprès des marques dont les personnes créatrices sont directement liées à cette culture. J’en parle à mes proches, je passe le mot à mon réseau.

C’est de cette manière là que je leur donne la force, mon argent, ma reconnaissance.

Pourquoi choisir de se fournir chez les personnes et les marques brown owned ?

Ce que je décris là peut s’appliquer à un plus large groupe, dit des « racisés ».

Ces personnes font face à un lot de violences institutionnelles, systémiques de base au quotidien, donc imaginez vous lorsque ces personnes osent monter leur entreprise.

Les barrières psychologiques sont énormes, puis beaucoup d’entre nous ne disposent pas du capital financier qui peut permettre d’avoir un lancement confortable.

Ce qu’il ne faut pas oublier, c’est que cette appropriation culturelle est une conséquence directe de la colonisation/globalisation et s’inscrit dans un racisme décomplexé, ancré où l’égalité des races n’est pas encore au programme.

Si c’était le cas, il n’y aurait pas ce besoin éternel d’écraser l’autre, ce besoin de voler les cultures des autres pour briller au détriment de l’autre.

Voler, piller, je ne peux utiliser le mot “emprunter” car rien n’est rendu à la source. Et ça n’est pas parce que l’on donne à des associations locales qu’on ne peut pas être taxé d’appropriation culturelle.

Ces mots pour les personnes concernées peuvent être violents et c’est exactement ce que nous pouvons ressentir.

"Au lieu de critiquer, pourquoi tu ne le lances pas, toi, ton business ?'

"Si tu n’es pas d’accord avec elle, tu n’as qu’à trouver des solutions !"

Pourquoi on nous demande d’agir dès qu’on pointe cette situation du doigt ?

Quand vous critiquez un film qui ne vous a pas plu,vous ne décidez pas de réaliser un film pour prouver votre opinion.

Et bien c’est pareil, quand je critique le business de [insérer la pratique], je ne me dis pas que je vais m’y mettre également, juste par pure revanche.

Où est mon libre arbitre ? Ma mission de vie est -t-elle constamment rattachée aux activités de ces personnes dominantes, privilégié.e.s ?

N’ai je donc rien d’autre à faire de ma vie?

Comment ouvrir la conversation avec des personnes qui font de l’APC ?

Il y a beaucoup d’aspects à déconstruire. Le monde dans lequel nous vivons est encore scindé dans une dichotomie de pour ou contre l’APC.

Les scandales et autres polémiques qui éclatent n’ont pas l’air de faire vraiment avancer les discussions d’un point de vue sociologique ou même scientifique. Nous sommes beaucoup à remettre en question nos propres ressentis et nos expériences car il n’y aurait pas de démonstrations scientifiques qui viennent les valider. Les scandales maintiennent le sujet de l’APC au niveau de scandale, donc éphémère. Nous oublions rapidement et passons à autre chose.

Je comprends que des personnes qui ont longtemps dénoncé l’appropriation culturelle, ne veulent plus parler, discuter et c’est dommage car cela nous serait très utile. Mais c’est un sentiment que je connais, face à la violence de l’APC, j’ai dû mettre en place un protocole de soin pour me protéger.

  1. Je ne m’engage plus dans des conversations autour de l’APC avec des personnes qui veulent “débattre” avec moi, je ne suis pas un plateau BFMtv. Alors qu’en réalité, nous sommes tout simplement dans une bataille d’arguments pour et contre.

  2. Je me rappelle constamment que les personnes qui exploitent les cultures pour leur profit, n’auront jamais le savoir de me faire vibrer, d’avoir le don de me faire ressentir cette connexion à l’ancestralité des pratiques culturelles.

  3. Je me dis que l’authenticité n’est plus là. Il ne reste plus que 1%, peut être de la source.

  4. Je m’éloigne de ces personnes, je bloque les comptes Insta des marques en question

  5. Aussi insensé que cela puisse paraître, je m’éloigne également des personnes de ma propre communauté qui me défendent leurs visions de l’APC. Appartenir à une même communauté n’est pas synonyme de solidarité.

Encore une fois, c’est mon ressenti et mon expérience.

Cependant je suis persuadée qu’on puisse réfléchir à ces questions d’APC lorsque le cadre est sécure (je conçois, qu’il est très difficile d’en créer)

Un cadre dans lequel les personnes ont perdu le sentiment de supériorité, l’arrogance, la mauvaise foi, est déjà plus attirant.

Représentativité, inclusion, diversité, mon projet d’agence de conseil et d’accompagnement pour plus de représentativité.

Ainsi on ne peut résumer l’appropriation culturelle en un acte isolé, il y a des dynamiques de pouvoir, de genre, de race, de classes sociales et de castes à prendre en compte.

En mettant des mots sur ces maux, en analysant le phénomène, en apportant de la nuance également et en offrant mes réflexions à une plus large audience c’est de cette manière là que je veux agir.

Je reçois de temps à autre des sollicitations de personnes qui veulent travailler leur rapport à l’appropriation culturelle, des personnes travaillant dans le milieu de l’illustration, du yoga ou des médias. C’est un bon signe, un signe de guérison et d’ouverture des horizons.

Je clôture le premier thème du mois de l’appropriation culturelle pour le moment en tout cas. Ces deux écrits ont vocation à vous introduire à ce concept complexe et j’espère qu’ils ouvriront les réflexions et conversations.

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